Le prince Henri de Prusse
Johann Heinrich Tischbein, l'ancien
NOTES ET PORTRAITS
LE PRINCE HENRI DE PRUSSE.
Lorsque la comtesse de Sabran me présenta chez elle au frère du grand Frédéric, je voyais ce prince pour la première fois, et je ne saurais dire combien je le trouvai laid. Il pouvait avoir à peu près cinquante-cinq ans à cette époque, le roi de Prusse étant de beaucoup son aîné. Il était petit, mince, et sa taille, quoiqu'il se tînt fort droit, n'avait aucune noblesse. Il avait conservé un accent allemand très marqué, et grasseyait excessivement. Quant à la laideur de son visage, elle était au premier abord tout-à-fait repoussante. Cependant avec deux gros yeux dont l'un regardait à droite et l'autre à gauche, son regard n'en avait pas moins je ne sais quelle douceur, qu'on remarquait aussi dans le son de sa voix, et lorsqu'on l'écoutait, ses paroles étant toujours d'une obligeance extrême: on s'accoutumait à le voir. Sa valeur guerrière est assez connue pour qu'il soit inutile d'en parler; on sait qu'il aimait la gloire en digne frère de Frédéric; mais ce qu'il faut dire, c'est qu'il était aussi sensible à un trait d'humanité qu'à un trait d'héroïsme: il était bon et faisait un très grand cas de la bonté dans les autres. Il avait pour les arts, et surtout pour la musique, une véritable passion, au point qu'il voyageait avec son premier violon afin de pouvoir cultiver son talent en route. Ce talent était assez médiocre, mais le prince Henri ne laissait échapper aucune occasion de l'exercer. Pendant tout le séjour qu'il a fait à Paris, il venait constamment à mes soirées musicales, ne redoutait point la présence des premiers virtuoses, et je ne l'ai jamais vu refuser de faire sa partie dans un quatuor à côté de Viottis qui jouait le premier violon.
Extrait du livre :
Souvenirs de Madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun
Édition : Librairie de H. Fournier - Paris 1835