1593 - v. 1652
Artemisia Gentileschi est née à Rome en 1593 de Prudenza Montone et du peintre Orazio Lomi Gentileschi. Orpheline de mère dès l'enfance, elle s'initie à la peinture en observant les tableaux de son père ou, selon les mauvaises langues, en posant pour lui. Craignant l'opinion commune, son père souhaite en faire une religieuse, l'enferme à la maison et ne lui permet d'entrer dans l'atelier qu'à condition de ne parler à personne. Artemisia supporte mal cet isolement et passe des heures à rêver à la fenêtre, comportement qui ne convient pas à une fille de bonne famille. Ses trois frères suivent également un apprentissage dans l'atelier paternel, mais c'est elle seule qui a connu la notoriété. Tous les efforts pour protéger sa fille seront bientôt anéantis : Agostino Tassi, son collaborateur et ami de la famille viole Artemisia. Quelques mois après, Orazio intente un procès à son collaborateur, non pour le viol de sa fille mais pour, chose plus facilement défendable devant les tribunaux de l'époque, le déshonneur qu'il a subi ainsi que pour le vol de plusieurs tableaux dans son atelier.
Au cours du procès, elle se défend en affirmant que cet homme l'a trompée en lui promettant de l'épouser et en lui cachant qu'il était déjà marié Pour Artemisia le procès se transforme en un nouvel acte de violence, elle est humiliée et mise au supplice, procédure courante à l'époque pour prouver l'innocence de la victime. On lui enserre les doigts dans des entrelacs, torture qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques en la privant de la pratique de son métier. Au terme du procès, Tassi est condamné à l'exil des états pontificaux mais ses protecteurs font révoquer sa sentence.
Le lendemain du prononcé de la sentence, en novembre 1612, Orazio marie sa fille au peintre florentin Pietro Antonio Stiattesi. Pour Artemisia c'est une libération quand elle part pour Florence pour suivre son mari. Elle a quatre enfants avec lui, mais trois meurent en bas âge. Pietro se révèle être un irresponsable qui fait des dettes et c'est Artemisia qui doit subvenir aux besoins de sa famille. Pendant son séjour à Florence elle reçoit plusieurs commandes du grand-duc de Toscane, Cosimo II de Médicis. Après la mort de ce protecteur en 1621, Artemisia retourne à Rome. On sait qu'elle ne vit plus avec son mari lorsque, l'année suivante, elle part pour Naples avec son père. mais on ne sait lequel des deux a laissé l'autre, ni quand la séparation s'est produite.
Tout au long de sa vie elle ne cessera jamais de peindre et d'améliorer son style. A son retour à Rome, Artemisia fait la connaissance de Simon Vouet et devient probablement l'amie de sa femme, Virginia da Vezzo, artiste elle aussi. En 1630 elle s'établit à Naples et fréquente un groupe de peintres caravagesques, parmi lesquels Caracciolo et Stanzione. Puis en 1637, elle se rend en Angleterre, où son père travaille à la cour de Charles Ier. En 1641 elle retourne à Naples pour y rester jusqu'à sa mort.
Un des thèmes récurant dans la peinture religieuse est l'histoire de Judith tuant Holopherne. Quand on compare les représentations de ce passage biblique on constate une très grande différence de ton, non seulement entre Artemisia et ses collègues masculins, mais également entre elle et les autres femmes peintres contemporaines.
Artemisia Gentileschi consacre cinq tableaux à cette histoire. Quand on compare ses deux Judith décapitant Holopherne avec celle du Caravage, dont elle s'est inspirée, on remarque tout de suite la différence. La Judith du Caravage est frêle et effrayée. Elle se tient le plus loin possible d'Holopherne qu'elle ne tient que par les cheveux, comme si elle voulait éviter à tout prix que sa robe soit tachée par le sang qui coule d'ailleurs dans l'autre sens. Elle a une expression de dégoût, apparemment elle commet son acte malgré elle. La vieille servante paraît plus déterminée que Judith, les mâchoires serrées, les yeux écarquillés, elle tient anxieusement le sac dans lequel elles espèrent mettre la tête de l'assyrien. Le général essaie de se relever et regarde dans la direction des deux femmes. Le Caravage représente une Judith passive et craintive, conformément à l'idée que l'on se faisait de la femme.
Quel contraste avec le personnage représenté par Gentileschi. Ici on voit une femme forte et courageuse, découpant la tête de l'homme comme un boucher découpe un porc. Son expression est calme et déterminée. Contrairement à la servante peinte par le Caravage, celle peinte par Gentileschi est plus jeune et se tient à côté et non derrière Judith. Elle participe activement et aide sa maîtresse en tenant le général des deux mains. Celui-ci a l'air plutôt surpris et effrayé et tente mollement de repousser la servante. Les deux autres tableaux représentant la suite de l'histoire montrent ,de façon tout aussi théâtrale, des femmes déterminées et complices.
Lavina Fontana s'est, elle aussi, mesurée au sujet et nous en propose une interprétation totalement différente. Elle met l'accent sur l'aspect sacré du geste héroïque et sur le mysticisme de la protagoniste qui lève les yeux vers le ciel. La tête d'Holopherne est sans relief et ressemble à un masque. Quelques années plus tard elle représente Judith comme une aristocrate élégante mais peu expressive. Une autre artiste a peint cette scène : Fede Galizia. Elle s'attarde plus sur la richesse des étoffes que sur l'action ou les états d'âme des protagonistes. Nous sommes loin des femmes de chair et de sang qu'Artemisia peint.