1908 - 1996
Eleonor Fini, qui se renomma plus tard Leonor, est née le 30 août 1908. Sa mère, Malvina Braun, est la figure centrale de son enfance. Elle est née à Trieste, qui à cette époque faisait encore partie de l'Empire austro-hongrois. Son père, par contre ne joue qu'un rôle de persécuteur, Herminio Fini était un riche homme d'affaires argentin, tyrannique et très religieux doublé d'un joueur. Après leur mariage ses parents déménagent vers Buenos Aires, où ils habitent une vaste demeure sur une île dont il est propriétaire. Dix-huit mois après la naissance d'Eleonor, sa mère fuit avec elle vers Trieste. Son père n'acceptera jamais cette séparation et va jusqu'à soudoyer des individus pour kidnapper Leonor en pleine rue de Trieste et la ramener vers Buenos Aires. Ces tentatives échouent, mais Leonor en garde une trace indélébile.
Dès le premier jour elle déteste aller à l'école et y a la réputation d'être une enfant paresseuse et arrogante. Elle préfère passer ses journées à errer dans des endroits interdits, à se déguiser en garçon et à dessiner.
En 1923, sa famille décide qu'elle étudiera le droit comme son oncle, mais elle est déterminée en n'en rien faire, scandalisant sa mère et son oncle par sa volonté de mettre en pratique ses idées sur la vie moderne au lieu de se contenter d'en discuter. À sa grande joie, ses études sont interrompues par une conjonctivite qui l'oblige de rester les yeux bandés durant deux mois et demi. Quand elle est rétablie, elle suit brièvement des cours d'art dramatique, mais elle passe tout son temps à peindre et à dessiner. Cette année-là, Leonor décide de devenir artiste.
Une des personnes qui influence le plus la jeune Leonor est le peintre Arturo Nathan. Aussi bien la métaphysique onirique de ses tableaux incluant presque systématiquement un autoportrait que le charme androgyne de sa personne lui plaisent beaucoup. Nathan lui donne des leçons de peinture. Longtemps, ils correspondent, jusqu'à sa mort tragique, dans le camp de concentration de Biberach en 1944.
De nombreux amis de son oncle acceptent de poser pour elle.
Les toiles de cette époque comme le Trouble et la Visite prouvent sa faculté de trouver sa voie entre le réalisme décalé du groupe Novecento Italiano.
En 1929, son oncle accepte de financer ses études artistiques à Milan. Le Portrait de Lina Saba et celui d’Italo Svevo montrent qu’elle a acquis une maturité picturale et aussi une profondeur assez grande pour rendre ces figures belles et éloquentes. Au bout d'un an, elle se lasse de Milan, de sa misogynie et son climat fascisant.
À Milan, elle rencontre le prince Lorenzo Ercole Lanza del Vasto de Trabia dont elle tombe tout de suite amoureuse. Leonor s'est mis en tête de faire carrière à Paris, et ils décident de s'installer ensemble à Paris. Mais après quelques mois le couple se sépare.
Filippo de Pisis, dont elle avait fait la connaissance dans le train la menant à Paris, l'emmène régulièrement au café Les Deux Magots où elle fait la connaissance de Jules Supervielle, Giorgio De Chirico et Max Jacob.
Elle fréquente les salons de Montesquiou et des Noailles. Un an plus tard, elle fait la connaissance de Cartier-Bresson et d’André Pieyre de Mandiargues. Bientôt elle s’installe chez ce dernier. Les portraits du jeune écrivain s’accumulent tandis que son ami photographe ne cesse de l’immortaliser dans des poses lascives, ou sinon en exécutant de troublants portraits. Sa beauté fascine bien d’autres photographes, dont Erwin Blumenfeld, George Platt Lynes, Dora Maar, Lee Miller et d’autres encore. Elle parvient à s’imposer comme peintre en exposant en 1933 avec les Italiens (Carrà, De Chirico, Severini, Campigli, De Pisis), puis en étant invitée un an plus tard à prendre part à l’exposition organisée par Paul Éluard sur le dessin surréaliste à la galerie Quatre Chemins. Des toiles telles que la Chambre noire, Femme en armure ou D’un jour à l’autre marquent son engagement dans l’univers surréaliste avec une forte connotation érotique. André Breton n’apprécie pas son travail : une femme ne peut avoir dans son univers phallocentrique (inquisiteur) qu’une place subalterne.
C'est pendant les années 1935 que Leonor acquiert la réputation d'icône de la vie parisienne, artistique et mondaine. Elle assistait aux générales, aux vernissages, aux bals et aux fêtes, toujours habillée de façon extravagante.
En 1936 elle expose avec Max Ernst à la Julien Levy Gallery à New York. C'est sa première exposition vraiment importante qui marqua une étape décisive de son parcours. Le fait qu'elle expose avec Max Ernst et que dans le catalogue de l'exposition elle est louée par Paul Elouart et Giorgio de Chirico démontre ces affinités avec le surréalisme, mais aussi sa forte personnalité.
Malgré cela elle a toujours refusé l'étiquette de peintre surréaliste et elle a toujours détesté André Breton avec sa misogynie, sa haine de l'homosexualité et son habitude de jouer les juges au tribunal.
Les portraits qui à ses débuts forment un moyen de subsistance non négligeable, deviennent une part importante de son œuvre. Au lieu de portraits de commande et de complaisance, elle se concentre sur des portraits de ses amis ou d'autres artistes et se soucie surtout d'exprimer leur personnalité profonde.
Depuis le temps des œuvres surréalistes des années quarante jusqu'à la période minérale de la fin des années cinquante, elle se retrouve à l'avant-garde. Cela change au début des années soixante quand Leonor Fini crée un univers qui lui est propre et évolue vers une figuration plus précise et des couleurs plus vives. Tout au long des années soixante et soixante-dix, elle développa cet univers imprégné d'érotisme.
En 1970 Leonor Fini écrit « Toute ma peinture est une autobiographie incantatoire d'affirmation, volonté d'exprimer l'aspect fulgurant de l'être ; la vraie question est de transformer sur la toile le sens de jeu. ». Et dans Le livre de Leonor Fini elle précise « Ce qui est sûr c'est que je veux que les images que je fais surgir soient les plus proches d'elles-mêmes. Je les veux peintes le mieux possible : je veux dire au point le plus aigu de rencontre de ce qui veut s'exprimer à travers moi, et la façon de le faire.»
Que ce soit à Paris, en Touraine ou en été au bord de la mer, elle peint tous les jours, l'après-midi, pendant cinq ou six heures. Pourtant, elle ne termine pas plus de dix toiles par an, car elle peint à l'huile avec une très forte exigence de perfection. Si, arrivée au terme d'une série qui l'avait stimulée elle s'interrompt de peindre, elle passe au dessin, où son écriture est rapide, nerveuse, spontanée. Lorsqu'elle cesse de peindre, elle crée des objets et écrit avec une rapidité presque automatique qui rapproche son écriture « littéraire » de celle du dessin.
Source : Leonor Fini. Metamorphose d'un art, Peter Webb, Éditions de l'Imprimerie nationale, 2007