Pierre-Louis Ginguené
NOTES ET PORTRAITS
GINGUENÉ.
Ginguené m'avait été présenté par Lebrun le poète comme son ami intime, en sorte qu'il venait quelquefois à mes soirées, quoiqu'il ne me plût sous aucuns rapports. Je lui trouvais un esprit sec, sans charme et sans gaieté; il n'était pas en harmonie avec ma société, et ses œuvres m'étaient tout aussi antipathiques que sa conversation. En 1789, il nous lut une ode qu'il venait de faire pour M. Necker. Cette ode pouvait passer pour le programme de 1793, il y parlait de victimes, et soutenait qu'on ne pouvait régénérer la France sans répandre du sang. Des opinions aussi atroces me faisaient frissonner. Le comte de Vaudreuil, qui était présent, ne dit rien, mais nous nous regardâmes, et je vis bien qu'ainsi que moi il devinait l'homme. Ginguené ne quittait guère son ami Lebrun Pindare. Sitôt après la mort de celui-ci, il alla trouver madame Lebrun (qui par parenthèse avait été cuisinière), et lui demanda les manuscrits de Lebrun, dont il désirait se faire éditeur. Madame Lebrun les lui remit tous. En les feuilletant pour les mettre en ordre, Ginguené fut un peu saisi de trouver plus de cent épigrammes faites contre lui-même; quelques-unes étaient atroces. On conçoit que l'éditeur les mit toutes de côté; mais je l'ai toujours soupçonné de s'être vengé en faisant imprimer trop de choses faibles et inutiles dans les œuvres de Lebrun, ce qui nuit beaucoup à un recueil qui pouvait être excellent. Tout le monde sait que, la révolution venue, Ginguené s'y jeta à corps perdu, et qu'il témoignait hautement son regret de n'avoir pas été à même de voter la mort de Louis XVI.
(1) Texte de la note bas de page.
Extrait du livre :
Souvenirs de Madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun
Édition : Librairie de H. Fournier - Paris 1835