Antoine Rivaroli, dit le Comte de Rivarol
NOTES ET PORTRAITS
LE COMTE DE RIVAROL.
Mon frère me présenta un matin le comte de Rivarol, que son esprit faisait extrêmement rechercher dans les plus brillantes sociétés de Paris, même avant qu'il eût rien écrit. Comme je ne l'attendais point, j'étais dans mon atelier, et je mettais ce que nous appelons l'harmonie à plusieurs tableaux que je venais de terminer. On sait que ce dernier travail ne permet aucune distraction, en sorte qu'en dépit du désir que j'avais toujours eu d'entendre causer M. de Rivarol, je jouis fort peu du charme de sa conversation, tant j'étais préoccupée: il parlait en outre avec une telle volubilité que j'en étais comme étourdie. Je remarquai cependant qu'il avait une belle figure et une taille extrêmement élégante; il n'en dut pas moins me trouver si maussade que je ne l'ai plus revu chez moi. Il se peut à la vérité qu'un autre motif l'ait empêché d'y revenir. Il passait sa vie avec le marquis de Champcenetz, qui s'est toujours montré fort méchant pour moi. Le marquis de Champcenetz, sans avoir ni tout le talent, ni la force de tête de l'auteur du discours sur l'universalité de la langue française, avait beaucoup d'esprit, qu'il employait habituellement à déchirer le prochain. Il avait, comme M. de Bièvre, le goût des calembourgs; et il en faisait sans cesse, en sorte que Rivarol l'appelait l'épigramme de la langue française. C'est le marquis de Champcenetz, qui, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, demanda gaiement à ses juges s'il lui était permis de chercher un remplaçant pour la garde nationale.
PAUL JONES.
J'ai souvent soupé chez madame Thilorié, soeur de madame de Bonneuil, avec ce célèbre marin, qui a rendu tant de services à la cause américaine et fait tant de mal aux Anglais. Sa réputation l'avait précédé à Paris, où l'on savait dans combien de combats, avec sa petite escadre, il avait triomphé des forces dix fois supérieures de l'Angleterre. Néanmoins, je n'ai jamais rencontré d'homme aussi modeste: il était impossible de le faire jamais parler de ses hauts faits; mais sur tout autre sujet, il causait volontiers avec infiniment d'esprit et de naturel. Paul Jones était Écossais de naissance. Je crois qu'il aurait beaucoup désiré devenir amiral dans la marine française; j'ai même entendu dire que, lorsqu'il revint à Paris une seconde fois, il en fit la demande à Louis XVI, qui le refusa. Quoi qu'il en soit, il alla d'abord en Russie, où le comte de Ségur le présenta à l'impératrice Catherine II, qui l'accueillit avec la plus grande distinction et le fit dîner avec elle. Il quitta Pétersbourg pour aller joindre Suvarow et le prince de Nassau, avec lesquels il se distingua de nouveau dans la guerre contre les Turcs. De retour à Paris, il y est mort pendant la révolution, mais avant la terreur.
Extrait du livre :
Souvenirs de Madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun
Édition : Librairie de H. Fournier - Paris 1835