Le Tzar Paul I
CHAPITRE Ier.
Paul Ier. Son caractère. Incendie à Pergola. Frogère M. d'Autichamp, Koutaisoff, madame Chevalier.
Paul était né le 1er octobre 1754, et
monta sur le trône le 12 octobre 1796. Ce que j'ai déjà
raconté des funérailles de Catherine prouve assez
que le nouvel empereur ne partageait point les regrets de la nation,
et de plus, on sait qu'il décora du cordon de Saint-André
Nicolas Zouboff, qui lui apporta la nouvelle de la mort de sa mère.
Paul avait beaucoup d'esprit, d'instruction
et d'activité ; mais la bizarrerie de son caractère
allait jusqu'à la folie. Chez ce malheureux prince des mouvemens
de bonté d'ame succédaient souvent à des mouvemens
de férocité, et sa bienveillance ou sa colère,
sa faveur ou son ressentiment n'étaient jamais que l'effet
d'un caprice. Son premier soin, dès qu'il fut monté
sur le trône, fut d'exiler Platon Zouboff en Sibérie,
en lui confisquant la plus grande partie de sa fortune. Fort peu
de temps après, il le rappela, lui rendit tous ses biens,
et toute la cour le vit un jour présenter cet ex-favori aux
ambassadeurs de Géorgie avec la plus grande bienveillance,
et le combler de bontés.
Un soir, je me trouvai à un
bal qui se donnait à la cour. Tout le monde, à l'exception
de l'empereur, était masqué, et les hommes et les
femmes en dominos noirs. Il se fit un encombrement à une
porte qui donnait d'un salon dans un autre ; un jeune homme pressé
de passer, coudoya fortement une femme, qui se mit à pousser
des cris. Paul se retournant aussitôt vers un de ses aides-de-camp
: « Allez, dit-il, conduire ce monsieur à la forteresse,
et vous reviendrez m'assurer qu'il y est bien enfermé. »
L'aide-de-camp ne tarda pas à revenir dire qu'il avait exécuté
cet ordre. « Mais, ajouta-t-il, Votre Majesté saura
que ce jeune homme a la vue excessivement basse : en voici la preuve;
» et il montra les lunettes du prisonnier, qu'il avait apportées.
Paul, après avoir essayé les lunettes, pour se convaincre
de la vérité du fait, dit vivement : « Courez
vite le chercher, et menez-le chez ses parens; je ne me coucherai
pas que vous ne soyez venu me dire qu'il est retourné chez
lui. »
La plus légère infraction
aux ordres de Paul était punie de l'exil en Sibérie,
ou pour le moins de la prison, en sorte que, ne pouvant prévoir
où vous conduirait la folie jointe à l'arbitraire,
on vivait dans des transes perpétuelles. On en vint bientôt
à ne plus oser recevoir du monde chez soi ; si l'on recevait
quelques amis, on avait grand soin de fermer les volets, et pour
les jours de bal, il était convenu que l'on renverrait les
voitures. Tout le inonde était surveillé pour ses
paroles et pour ses actions, au point que j'entendais dire qu'il
n'existait pas une société qui n'eût son espion.
On s'abstenait le plus souvent de parler de l'empereur, mais je
me souviens qu'un jour étant arrivée dans un très
petit comité, une dame qui ne me connaissait pas et qui venait
de s'enhardir sur ce sujet, s'arrêta tout court en me voyant
entrer. La comtesse Golowin fut obligée de lui dire, pour
qu'elle continuât sa conversation : « Vous pouvez parler
sans crainte, c'est madame Lebrun. » Tout cela paraissait
bien dur; après avoir vécu sous Catherine, qui laissait
jouir chacun de la plus entière liberté, sans jamais,
il est vrai, en prononcer le mot.
Il serait trop long de raconter sur
combien de choses futiles Paul exerçait sa tyrannie. Il avait
ordonné, par exemple, que tout le monde saluât son
château, même lorsqu'il en était absent. Il avait
défendu de porter des chapeaux ronds, qu'il regardait comme
un signe de jacobinisme. Des hommes de police avec leur canne faisaient
sauter à terre tous ceux qu'ils rencontraient, au grand dépit
des personnes que leur ignorance exposait à se faire décoiffer
ainsi. En revanche, tout le monde était contraint de porter
de la poudre. Dans le temps que parut cette ordonnance, je faisais
le portrait du jeune prince Fariatinski, et comme je l'avais prié
de ne pas me venir poudré, il y avait consenti. Je le vis
arriver un jour, pale comme la mort. « Qu'avez-vous donc ?
lui dis-je. Je viens de rencontrer l'empereur en venant chez
vous, me répondit-il encore tout tremblant; je n'ai eu que
le temps de me jeter sous une porte cochère, mais j'ai une
peur affreuse qu'il ne m'ait aperçu. » Cette terreur
du prince Bariatinski n'avait rien de surprenant ; elle atteignait
les personnes de toutes, les classes; car aucun habitant de Pétersbourg
n'était sûr le matin de coucher le soir dans son lit.
Pour mon compte, je puis dire avoir éprouvé, sous
le règne de Paul, la plus effroyable peur que j'aie ressentie
de mes jours. J'étais allée à Pergola (1),
où je voulais passer la journée, et j'avais avec moi
M. de Rivière, mon cocher, et Pierre, mon bon domestique
russe. Tandis que M. de Rivière se promenait, avec son fusil,
pour tuer des oiseaux ou des lapins (auxquels par parenthèse
il ne faisait jamais grand mal), je restais sur les bords du lac,
quand, tout à coup, je vis le feu que l'on avait allumé
pour faire cuire notre dîner, se communiquer aux sapins, et
se propager avec une grande rapidité. Les sapins se touchaient,
Pergola n'est pas loin de Pétersbourg !.... Je me mis à
pousser des cris horribles, en rappelant M. de Rivière, et,
la frayeur aidant, tous quatre réunis, nous parvînmes
à étouffer l'incendie, non sans nous brûler
cruellement les mains ; mais nous pensions à l'empereur,
à la Sibérie, et l'on peut juger que cela nous donnait
du courage !
Je ne saurais m'expliquer la terreur
que m'inspirait Paul, qu'en me rappelant combien cette terreur était
générale; car je dois avouer qu'il ne s'est jamais
montré pour moi que bienveillant et poli. Lorsque je le vis
pour la première fois à Pétersbourg, il se
souvint de là manière la plus aimable que je lui avais
été présentée à Paris, lorsqu'il
y vint sous le nom de comte du Nord. J'étais bien jeune alors,
et tant d'années s'étaient passées depuis,
que je l'avais oublié; mais les princes en général
sont doués de la mémoire des personnes et des noms;
c'est pour eux une grâce d'état. Parmi tant d'ordonnances
bizarres qui ont signalé son règne, une, à
laquelle il était fort pénible de se soumettre, obligeait
les femmes comme les hommes à descendre de voiture sur le
passage de l'empereur. Or, il faut ajouter qu'il était très
fréquent que l'on rencontrât Paul dans les rues de
Pétersbourg, attendu qu'il les parcourait sans cesse, quelquefois
à cheval, avec fort peu de suite, et souvent en traîneau
sans être escorté et sans aucun signe qui pût
le faire reconnaître. Il ne fallait pas moins se soumettre
à l'ordre, sous peine de courir les plus grands risques,
et l'on conviendra qu'il était cruel par le froid le plus
rigoureux de se mettre tout à coup les pieds dans la neige.
Un jour que je me trouvai sur sa route, mon cocher ne l'ayant pas
vu venir de loin, je n'eus que le temps de crier : « Arrêtez
! c'est l'empereur ! » mais comme on m'ouvrait la portière
et que j'allais descendre, lui-même sortit de son traîneau
et se précipita pour m'en empêcher, disant de l'air
le plus gracieux que son ordre ne regardait pas les étrangères,
et surtout madame Lebrun.
Ce qui peut expliquer comment les
meilleurs caprices de Paul ne rassuraient point pour l'avenir, c'est
qu'aucun homme n'était plus inconstant dans ses goûts
et dans ses affections, Au commencement de son règne, par
exemple, il avait Bonaparte en horreur; plus tard, il l'avait pris
en si grande tendresse, que le portrait du héros français
était dans son sanctuaire et qu'il le montrait à tout
le monde. Sa disgrâce ou sa faveur n'offrait rien de durable
; le comte Strogonoff est, je crois, la seule personne qu'il n'ait
point cessé d'aimer et d'estimer. On ne lui connaissait point
de favoris parmi les seigneurs de la cour; mais il se plaisait beaucoup
avec un acteur français nommé Frogères, qui
n'était point sans talens, et qui avait de l'esprit. Frogères
entrait à toute Heure dans le cabinet de l'empereur, sans
être annoncé; on les voyait souvent se promener tous
deux, dans les jardins, bras dessus bras dessous, causant de littérature
française, que Paul aimait beaucoup, principalement notre
théâtre. Cet acteur était souvent admis aux
petites réunions de la cour, et comme il portait à
un haut degré le talent de mystificateur, il se permettait
avec les plus grands seigneurs des mystifications qui amusaient
beaucoup l'empereur, mais qui, vraisemblablement, amusaient fort
peu ceux qui s'en trouvaient l'objet. Les grands-ducs eux-mêmes
n'étaient pas à l'abri des mauvaises plaisanteries
de Frogères; aussi, après la mort de Paul, n'avait-il
plus osé reparaître au palais. L'empereur Alexandre,
se promenant seul un jour dans les rues de Moscou, le rencontre
et l'appelle. « Pourquoi donc n'êtes-vous pas venu me
voir, Frogères? lui dit-il, d'un air affable. Sire,
répondit Frogères délivré de ses craintes,
je ne savais pas l'adresse de Votre Majesté. «L'empereur
rit beaucoup de cette bouffonnerie, et fit payer avec munificence
à l'acteur français un reste d'appointemens que le
pauvre homme jusqu'alors n'avait pas osé demander.
Après avoir vécu long-temps
près de Paul, il était naturel en effet que Frogères
redoutât le ressentiment d'un souverain; car Paul était
vindicatif au point que l'on attribuait la plus grande partie de
ses torts à sa haine pour la noblesse russe, dont il avait
eu à se plaindre du vivant de Catherine. Il confondait dans
cette haine les innocens avec les coupables, détestait tous
les grands seigneurs, et se plaisait à humilier ceux qu'il
n'exilait pas. Il montrait au contraire une grande bienveillance
pour les étrangers, et surtout pour les Français,
et je dois dire ici qu'on l'a toujours vu accueillir et traiter
avec bonté tous les voyageurs et les émigrés
qui venaient de France. Beaucoup de ces derniers ont reçu
de lui de généreux secours. Je citerai entre autres
le comte d'Autichamp qui, se trouvant à Pétersbourg
sans aucunes ressources, avait imaginé de faire des sabots
élastiques tout-à-fait jolis. J'en achetai une paire
que je fis voir le soir même chez la princesse Dolgorouki
à plusieurs femmes de la cour. Ils furent trouvés
charmans, et cela, joint à l'intérêt qu'inspirait
l'émigré, en fit commander aussitôt un grand
nombre de paires. Les petits sabots ne tardèrent pas à
arriver sous les yeux de l'empereur, qui, dès qu'il apprit
le nom de l'ouvrier, le fit venir et lui donna une très belle
place. Par malheur, c'était une place de confiance ; les
Russes s'en trouvèrent tellement offensés, que Paul
ne put y laisser long-temps le comte d'Autichamp; mais il l'en dédommagea
de manière à le mettre à l'abri du besoin.
Plusieurs faits de ce genre, que
j'apprenais fréquemment, me rendaient, je l'avoue, plus indulgente
pour l'empereur que ne pouvaient l'être les Russes, dont le
repos était sans cesse troublé par les bizarres caprices
d'un fou tout-puissant. Il serait difficile surtout de donner une
idée des craintes, du mécontentement et des murmures
secrets de cette cour, que j'avais vue naguère si calme et
si joyeuse. On peut dire avec vérité que tant qu'a
régné Paul, la terreur était à l'ordre
du jour.
Comme on ne saurait tourmenter ses
semblables sans être tourmenté soi-même, Paul
était bien loin de vivre heureux. Il avait pour idée
fixe qu'il mourrait assassiné, soit par le fer, soit par
le poison, et ce fait, qui est certain, prouve encore combien il
régnait d'incohérence dans toute la conduite de ce
malheureux prince. Tandis qu'on le voyait parcourir seul les rues
de Pétersbourg, à toute heure de jour et de nuit,
il prenait la précaution de faire mettre un pot-au-feu dans
sa chambre, et le reste de sa cuisine se faisait dans le plus secret
intérieur de son appartement. Le tout était surveillé
par son fidèle Koutaisoff, un valet chambre de confiance
qui l'avait suivi à Paris et ne quittait point sa personne.
Ce Koutaisoff avait pour l'empereur un dévouement sans borne,
que rien ne put jamais altérer, pas même la jalousie;
car Paul lui joua le mauvais tour de lui enlever sa maîtresse,
la plus jolie actrice du théâtre de Pétersbourg.
Cette femme se nommait madame Chevalier. Elle jouait avec beaucoup
de succès dans les opéras comiques. Sa figure et sa
voix étaient charmantes, et elle chantait avec infiniment
de grâce et d'expression. Koutaisoff l'aimait passionnément,
lorsque l'empereur en devint amoureux; ce qui mit le pauvre homme
dans un tel désespoir, qu'il en perdit presque la raison,
et son service en souffrit, ainsi qu'on le verra plus tard, dans
une terrible circonstance.
Paul était excessivement laid.
Un nez camard et une fort grande bouche, garnie de dents très
longues, le faisaient ressembler à une tète de mort.
Ses yeux étaient plus qu'animés, quoique souvent son
regard eût de la douceur. Il n'était ni gras ni maigre,
ni grand ni petit ; et bien que toute sa personne ne manquât
point d'une sorte d'élégance, il faut avouer que son
visage prêtait infiniment à la caricature. Aussi, quelque
fût le danger qu'offrait un pareil passe-temps, il s'en fit
un assez grand nombre. Une entre autres le représentait tenant
un papier dans chacune de ses mains. Sur l'un on lisait : ordre;
sur l'autre : contre-ordre, et sur son front : désordre.
Rien qu'en parlant de cette caricature, j'éprouve encore
un petit frémissement; car on sent bien qu'il y allait de
la vie, non seulement pour celui qui l'avait faite, mais aussi pour
tous ceux qui se l'étaient procurée.
Tout ce qu'on vient de lire n'empêchait
point que Pétersbourg ne fût alors pour un artiste
un séjour aussi utile qu'agréable. L'empereur Paul
aimait et protégeait les arts. Grand amateur de la littérature
française, il attirait et retenait par ses générosités
les acteurs auxquels il devait le plaisir de voir représenter
nos chefs-d'uvre, et l'on ne pouvait posséder un talent
en musique ou en peinture sans être assuré de sa bienveillance.
Doyen, l'ami de mon père, et le peintre d'histoire dont j'ai
déjà parlé plusieurs fois, se vit distingué
par Paul comme il l'avait été par Catherine. Quoique
fort âgé alors, Doyen avait conservé une manière
de vivre si simple et si frugale, qu'il n'avait accepté qu'une
partie des offres généreuses de l'impératrice;
l'empereur lui continua les mêmes bontés et lui commanda
un plafond pour le nouveau palais de Saint-Michel qui n'était
pas encore meublé. Le salon, dans lequel Doyen travaillait,
était fort près de l'Ermitage ; Paul et toute la cour
le traversait pour aller à la messe, et il était fort
rare qu'en revenant l'empereur ne s'arrêtât pas à
causer plus ou moins de temps avec le peintre, d'une manière
tout-à-fait aimable. Ceci me rappelle qu'un jour un des seigneurs
qui le suivait s'approcha de Doyen et lui dit : « Me permettez-vous,
Monsieur, de vous faire une légère observation : vous
peignez les Heures qui dansent autour du char du Soleil ; j'en vois
une là, plus éloignée, qui est plus petite
que les autres; cependant les heures sont toutes égales.
Monsieur, lui répondit Doyen avec un grand sang-froid,
vous avez parfaitement raison, mais celle dont vous me parlez n'est
qu'une demi-heure .» L'observateur fit un signe d'approbation,
et s'éloigna très content de lui-même.
Je ne dois pas oublier de dire que
l'empereur ayant voulu payer le prix du plafond avant qu'il fût
terminé, remit à Doyen un billet de banque d'une somme
considérable que je ne me rappelle plus; mais ce billet était
enveloppé d'un papier sur lequel Paul avait écrit
de sa main : Voici pour acheter des couleurs; quant à l'huile,
il en reste encore beaucoup dans la lampe.
Si l'ancien ami de mon père
était satisfait de son sort à Pétersbourg,
je n'étais pas moins contente du mien. Je travaillais sans
relâche depuis le matin jusqu'au soir. Le dimanche seulement,
je perdais deux heures qu'il me fallait accorder aux personnes qui
désiraient visiter mon atelier, au nombre desquelles se trouvèrent
plusieurs fois les grands-ducs et les grandes-duchesses. Outre les
tableaux dont j'ai déjà parlé, et les portraits
qui se succédaient sans cesse, j'avais fait venir de Paris
mon grand portrait de la reine Marie-Antoinette ( celui dans lequel
je l'ai peinte en robe de velours bleu), et l'intérêt
général qu'il excitait, me procurait une douce jouissance.
Le prince de Condé, alors à Pétersbourg, étant
venu le voir, ne prononça pas une parole, il fondit en larmes.
Sous le rapport des agrémens
de la société, Pétersbourg ne laissait rien
à désirer. On aurait pu d'ailleurs se croire à
Paris, tant il se trouvait de Français dans les réunions.
C'est là que je revis le duc de Richelieu et le comte de
Langeron ; à la vérité ils ne séjournaient
pas, le premier étant gouverneur d'Odessa, et le second toujours
sur les chemins pour des inspections militaires; mais il n'en était
pas de même d'une foule d'autres compatriotes. Par exemple,
je liai connaissance avec l'aimable et bien bonne comtesse Ducrest
de Villeneuve. Outre que cette jeune femme était très
jolie et très bien faite, on remarquait en elle un charme
qui tenait à son extrême bonté. Je la voyais
fort souvent à Pétersbourg aussi bien qu'à
Moscou, ce qui me rappelle qu'un jour, allant dîner chez elle,
il m'arriva un accident, qui n'est pas rare en Russie, mais qui
m'effraya extrêmement. M. Ducrest était venu me chercher
en traîneau; il faisait tellement froid, que j'eus le front
tout-à-fait gelé. Je m'écriais dans ma terreur
: « Je ne pourrai plus penser! je ne pourrai plus peindre!
» M. Ducrest se hâta de me faire entrer dans une boutique
où l'on me frotta le front avec de la neige, et ce remède,
que tous les Russes emploient en pareil cas, fit cesser aussitôt
la cause de mon désespoir.
Mes amis français ne me faisaient
pas négliger les habitans du pays qui me recevaient si bien,
et chaque jour augmentait le cercle de mes relations avec les familles
russes. Outre tant de personnes dont j'ai déjà parlé,
je voyais souvent M. Dimidoff, le plus riche particulier de la Russie.
Son père lui avait laissé en héritage des mines
de fer et de mercure si productives, que les immenses fournitures
qu'il faisait au gouvernement accroissaient sans cesse sa fortune.
Son énorme richesse fut cause qu'on lui donna en mariage
une demoiselle Strogonoff, issue d'une des plus nobles et des plus
anciennes familles de la Russie. Leur union fut fort douce. Quoique
sa femme eût du charme et de la grâce dans toute sa
personne, il n'en fut, je crois, jamais amoureux, mais elle n'en
vécut pas moins très heureuse avec lui. Ils n'ont
laissé que deux fils, dont l'un vit le plus souvent à
Paris, et, comme son père, est grand amateur de peinture.
(1) Pergola, dont j'ai déjà parlé, appartenait à madame Souwaloff, femme de l'auteur de l'Épitre à Ninon. Sa fille a épousé le comte Diedestein , Autrichien, et frère de la belle madame Kinski.
Extrait du livre :
Souvenirs de Madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun
Édition : Librairie de H. Fournier - Paris 1835